Jeudi 24 septembre 2015
Face aux Anglo-Saxons, divers acteurs français se mobilisent pour créer un terreau favorable.
San Francisco, New York, Londres sont les hauts lieux de la fintech dans le monde. Ces technologies de la finance qui entendent la faire entrer dans une nouvelle ère constituent désormais une véritable industrie. L'Europe continentale s'est lancée dans la course avec retard mais multiplie les événements et les mesures destinées à créer un terrain propice à leur émergence. « Les Etats-Unis restent en tête et accueillent 70 % de l'investissement dans les 'fintech' mais l'Europe est en pleine croissance, rappelle Emmanuel Viale, directeur du Tech Lab d'Accenture à Sophia Antipolis.
La France, en cinquième position en Europe, comble un peu son retard grâce à des aides gouvernementales attribuées aux créateurs d'entreprise, mais il reste difficile de se financer alors qu'aux Etats-Unis, lever 5 millions d'euros est la norme. » Bien que les levées de fonds se multiplient dans l'Hexagone, le mouvement est récent. Les pouvoirs publics ont pris conscience qu'il était temps d'agir. Fleur Pellerin puis Axelle Lemaire, secrétaires d'Etat au Numérique, ont pris les choses en main et mené diverses initiatives pour soutenir l'émergence des fintech françaises, en mobilisant notamment Bpifrance, outil public de financement. « En trois ans, nous avons financé 100 projets pour un montant total de 12 millions d'euros et nous investissons aussi via des fonds de fonds, détaille Paul-François Fournier, directeur exécutif et de l'innovation de Bpifrance. Nous avons créé un 'Hub Corporate', point de contact entre grands groupes et start-up, afin de favoriser l'acquisition de jeunes pousses par de grandes entreprises. Bpifrance a aussi des bureaux à San Francisco pour favoriser les contacts avec les acteurs mondiaux. » En parallèle, le Pôle Finance Innovation labellise les projets de fintech innovantes et les aide à trouver leur premier client, à lever des fonds et à accroître leur visibilité. Il a ainsi accompagné 500 entreprises parmi lesquelles de belles réussites comme SmartAngels, Unilend, Finexkap ou Paytop. Ces efforts contribuent à structurer « l'écosystème », mais ne suffisent pas. Sévérité française Le cadre réglementaire est primordial. Londres a bénéficié dès 2010-2011 d'une approche pragmatique du régulateur qui a créé un environnement favorable aux innovations. Le gouvernement n'a pas hésité à investir lui-même dans des plates-formes de crowdlending pour soutenir les entreprises.
En France, obtenir un agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ou de l'Autorité des marchés financiers (AMF) est beaucoup plus long et difficile, ce qui fait peser une incertitude sur la capacité de la start-up à parvenir à travailler un jour, incertitude que les investisseurs n'apprécient guère. « C'est un frein au départ, admet Eric Charpentier, fondateur de Payname, plate-forme de paiement entre particuliers. Mais une fois l'agrément obtenu, c'est un gage de qualité et de pérennité. » La sévérité française a des avantages qui se feront sentir à plus long terme. Mais pour Philippe Gélis, fondateur de Kantox, « Paris ne rattrapera pas son retard mais peut gagner une deuxième place en Europe, à condition d'accélérer le mouvement, et en particulier l'octroi des agréments qui conditionne souvent les levées de fonds. Sinon, le risque est que le tissu français des 'fintech' ne soit pas assez solide et que les entreprises anglaises s'installent en France et prennent le marché. » Une crainte partagée par Philippe Collombel, managing partner chez Partech Ventures. « Il faut absolument que régulateurs et financeurs s'impliquent pour permettre aux 'fintech' de se développer plus vite, estime-t-il, et que les acteurs traditionnels interviennent pour apporter des capitaux mais aussi collaborer avec elles et consolider le tissu local. »
Pour cela, les fintech doivent se faire connaître. Trente-six d'entre elles ont, en juin dernier, fondé France Fintech, leur association professionnelle destinée à « fédérer une communauté, faire avancer la 'fintech' et parler aux autorités, aux journalistes », détaille Alain Clot, son président qui parle les deux langues, celle de la finance traditionnelle et celle des fintech. « Nous devons faire savoir que la 'fintech' française existe, y compris à l'étranger où des Français sont à l'origine de grandes réussites, comme Arnaud Laplanche, fondateur de LendingClub. Depuis la création de France Fintech, des contacts internationaux se nouent et de grands établissements financiers, des fonds, des cabinets d'avocat, de consultants nous ont demandé à participer. » Car pour construire un secteur de la fintech dynamique et créateur de valeur, les start-up et les acteurs traditionnels ont besoin de trouver des modes de collaboration. Sur ce plan, une vraie dynamique s'installe avec les acteurs étrangers autant qu'avec les établissements français. « Nous avons des contacts avec des organismes intéressés par des partenariats ou collaborations au Canada, au Royaume-Uni, à Hong Kong, Singapour, Berlin, Tel Aviv, constate Cédric Teissier, CEO de Finexkap. Les investisseurs étrangers observent ce qui se passe en France et nous avons des contacts informels avec beaucoup de start-up via des incubateurs et des accélérateurs. » Avoir une vision internationale dès le départ permet de préparer son expansion au-delà des frontières, ambition que partagent la majorité des fintech. Moneytis, par exemple, comparateur de services de transfert d'argent, vient de rejoindre l'accélérateur d'ING à Amsterdam. Un point faible, la sécurité Les banques françaises sont en éveil, soucieuses de ne pas rater des innovations qui pourraient bouleverser leurs métiers. BNP Paribas a confié à Natalie Michel, responsable de l'innovation pour la banque de détail, la mission de parcourir le monde pour établir des liens avec les fintech prometteuses. « Les 'fintech' se rejoignent sur une promesse : replacer le client au coeur des modèles. Elles visent l'excellence de l'expérience client en s'appuyant sur des solutions simples, accessibles et transparentes, estime-t-elle. BNP Paribas leur apporte de son côté une expertise sur la sécurité ou le modèle bancaire. Travailler main dans la main est donc un moyen de construire ensemble une offre plus attrayante tout en respectant les contraintes bancaires. » La banque a développé plusieurs programmes de collaboration avec des start-up, elle en héberge quelques-unes à Paris et à Massy, elle leur permet de travailler avec des entreprises plus grandes grâce à « Innov&Connect ». Un « hackathon » international est en cours et les cinq gagnants sélectionnés en novembre verront leur projet mis en oeuvre en grandeur réelle chez BNP Paribas. De son côté, Société Générale a décidé de participer à l'accélérateur Accenture de Londres au côté d'autres banques. « Nous multiplions les rencontres avec les start-up avant tout pour développer les contacts avec nos métiers et éventuellement pour faire des acquisitions, déclare Aymeril Hoang, directeur de l'innovation. Au niveau national, il serait intéressant de lancer un grand événement du type Finovate (conférences dédiées aux 'fintech' aux Etats-Unis et à Londres) afin de créer des ponts au-delà de la France. »
C'est d'ailleurs ce que fait Axa dans le domaine de l'assurtech, qu'il soutient via plusieurs initiatives en faveur des start-up (un incubateur, un accélérateur, un fonds d'investissement). « Nous voulons repérer les innovations dans le monde, en mesurer la valeur ajoutée et les intégrer à notre offre commerciale, indique Minh Tran, directeur d'Axa Strategic Ventures. Par exemple, nous pouvons aider une start-up à s'implanter en France en recrutant un manager et en l'incubant. C'est ce que nous avons fait avec FlyR, une assurance permettant de garantir le meilleur prix sur des billets d'avion. »
Chez BPCE, le prisme est plus hexagonal avec un objectif concret : réaliser des prototypes avec des start-up sur des sujets susceptibles d'améliorer la relation client et les méthodes de travail internes. « Nous voulons apprendre à travailler différemment, accélérer la mise en oeuvre de projets et générer des idées nouvelles », estime Philippe Poirot, directeur développement digital transformation et qualité. Le groupe a d'ailleurs créé Smoney, sa plate-forme d'innovation dans les paiements, en rachetant sa technologie à une start-up française. Preuve que, entre fintech et acteurs traditionnels, le terrain d'entente existe. Si la collaboration est fructueuse, Paris et la France auront de quoi rivaliser avec les autres capitales.
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