Depuis quelques années, les fonds d'investissement et autres acteurs de la gestion d'actifs prônent la durabilité. Les initiatives se multiplient et font assaut d'innovation sous le signe de la finance « verte » et de la diversité. Opérations de « green & social washing » ou point de bascule en faveur de nouvelles normes d'investissement ? Et cet engouement des investisseurs rencontre-t-il la volonté de nombre d'entrepreneures de créer des entreprises à impact environnemental et social ?

 

La rentabilité avant le beau geste

D'après Jean-Noël Felli, cofondateur et dirigeant du cabinet de conseil en stratégie et management Balthazar, il faut y voir l'illustration d'une prise de conscience qu'il est « trop risqué d'investir dans des entreprises n'intégrant pas l'impact environnemental et sociétal dans leur modèle économique ». Investissant à titre personnel dans des start-up, notamment Freedge Beauty et Little Syster (toutes deux cofondées par des femmes), le consultant ne prend des tickets que dans les sociétés conciliant impact et performance . « Je suis convaincu que ces projets sont davantage pérennes. Et je ne suis pas le seul. Dans le crowdfunding, il y a de plus en plus de personnes sensibles à l'impact. » Sur le terrain, la réalité semble moins tranchée.

Parfois, l'argument durable n'est pas le moteur de l'investisseur, mais simplement un gage de viabilité. Pour exemple, Tamara Brisk, la fondatrice de Mökki , qui invite l'économie circulaire dans les immeubles de bureaux, estime que ceux qui l'ont suivie à ses débuts « n'étaient pas particulièrement mus par la sauvegarde de la planète ».

En 2019, pour mettre sur les rails sa start-up qui organise la collecte, la revente et le recyclage de vêtements sur le lieu de travail, l'entrepreneure a eu recours au love money , notamment auprès de contacts professionnels devenus des amis. « Il ont jugé que l'idée était viable parce qu'elle répondait à une attente sociétale », explique l'entrepreneure, déplorant que « le beau geste n'ait pas encore sa place dans le monde des start-up, où les investisseurs veulent dégager des bénéfices le plus vite possible. »

Réconcilier tech et impact

Pour sa part, Isabelle Mashola, présidente-cofondatrice d'Isahit , pointe la nécessité de cibler des investisseurs précis pour faire valoir ses spécificités. Or, son entreprise, lancée en 2017 et membre de la « tech for good » , se démarque à deux niveaux : la visée sociétale, car Isahit oeuvre à l'insertion professionnelle des femmes dans les pays en voie de développement -en leur confiant des tâches numériques génératrices de revenus-, et l'innovation technologique, puisqu'il s'agit d'une plateforme digitale et que les missions réalisées ont trait à l'apprentissage d'algorithmes, aux datas, etc.

« Nous avons sollicité deux types de fonds : ceux spécialisés dans l'impact et ceux spécialisés dans la technologie », raconte Isabelle Mashola, soulignant qu'il y avait « deux camps ». « Un fonds tech avait du mal à entendre l'intérêt de l'impact, et un fonds à impact n'était pas au fait de ce qu'apporte la technologie », se souvient l'entrepreneure. Mais de convenir que le concept de « deep tech », jeune pousse couplant innovation de rupture et résolution des défis du XXIe siècle, prend de l'ampleur. « La dichotomie tech-impact s'estompe », dit-elle.

Investisseur de la vieille école

La création peut aussi être valorisée par des partenaires de type collectivités, particulièrement sensibles aux enjeux sociétaux. Ainsi, la start-up O'Clock, qui a développé une formation de Web développeur dématérialisée, a-t-elle pu compter sur le soutien de Pôle Emploi, la région Ile-de-France, La Grande Ecole du numérique , etc. « Nos interlocuteurs étaient réellement en quête de solutions d'inclusion, certains étaient prêts à mettre les moyens », remarque Lucie Copin, cofondatrice de cette école en téléprésentiel, lancée en 2017.

Reste que la quête de financement expose les entrepreneures à un écosystème majoritairement masculin, où les biais subsistent. Et Isabelle Mashola de se remémorer ce pitch devant « un investisseur de la vieille école ». « Dès que nous abordions le sujet du business plan, il s'adressait exclusivement à mon associé, Philippe Coup-Jambet. Surtout, il tirait vers le bas notre plan financier qui, sans être agressif, était objectivement ambitieux », détaille-t-elle, précisant qu'elle ne s'était pas préparée à une telle attaque en règle.

Aujourd'hui, Isahit est présente dans 32 pays, où elle travaille avec 220 entreprises, dont des géants du CAC 40, illustration de l'appétence pour les stratégies à impact. « Comme le prouve également l'engouement grandissant pour l'ISR, nous entrons dans des modèles de business qui réconcilie capitalisme et responsabilité », conclut Jean-Noël Felli.